Pesticides : concurrence déloyale et dépendance économique

A la suite de la crise agricole de janvier, le Gouvernement a annoncé la suspension du plan Ecophyto, dont l’objectif est de diminuer le recours aux produits phytosanitaires1 Le terme « pesticide », fréquemment employé pour qualifier les produits phytosanitaires, se réfère en réalité à une catégorie plus large incluant également les produits biocides. , plus couramment appelés pesticides.

Alors que l’impact de ces produits sur la santé humaine et sur l’environnement n’est plus à démontrer, la France échoue depuis plus de 15 ans à réduire l’utilisation des pesticides. Cette situation maintient les agriculteurs dans une situation de dépendance économique vis-à-vis des grandes multinationales du secteur alors qu’ils restent exposés à la concurrence déloyale de produits traités avec des substances interdites en Europe.

Le recours aux pesticides reste massif

La France n’a atteint aucun de ses objectifs de baisse de l’utilisation des pesticides. Le premier plan Ecophyto de 2008 prévoyait une baisse de 50% de l’utilisation des pesticides à horizon 2018. Cet objectif a été repoussé par le plan Ecophyto II (2015) à 2025, puis par le plan Ecophyto II+ (2018) à 2030. Loin d’avoir diminué, le recours aux pesticides est même en hausse : alors qu’en 2009, le NODU agricole (nombre de doses-unités), indicateur utilisé pour mesurer l’utilisation de produits phytosanitaires, était de 82 millions d’hectares (Mha) traités, il atteignait en 2022 89,4 Mha. En prenant la moyenne triennale, moins volatile, l’augmentation atteint près de 5% entre 2008 et 20222 données issues du ministère de l’agriculture.

Si la stratégie Ecophyto 3 présentée en 2023 maintenait cet objectif de réduction de 50%, elle en réduisait en réalité l’ambition car elle modifiait la période de référence, ce que l’on nomme un « rebasage ». L’objectif de baisse ne vise plus la moyenne triennale 2009-2011 (83 millions d’hectares) mais la moyenne triennale 2015-2017 (100 millions d’hectares). La cible visée passe ainsi de 41,5 à 50,2 millions d’hectares traités.


A l’avenir, il sera très difficile de suivre ces évolutions, le Gouvernement ayant annoncé l’abandon l’indicateur NODU au profit d’un indicateur européen (HRI-1). Cet indicateur est très décrié, notamment par la Cour des comptes européennes3 Cour des comptes européennes, « Sustainable use of plant protection products: limited progress in measuring and reducing risks », 2020. Les facteurs de pondération appliqué pour chaque substance apparaissent particulièrement fragiles.

Les pesticides maintiennent les agriculteurs sous la dépendance des multinationales du secteur

Le marché des pesticides est dominé par quatre multinationales regroupant 70% d’un marché mondial de plus de 50 milliards de dollars4 Dominique Potier, Rapport sur les causes de l’incapacité de la France à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l’exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire, décembre 2023. : Syngeta Group (Chine), Bayer (Allemagne), Corteva (Etats-Unis) et BASF (Allemagne). Ces mêmes entreprises représentaient en 2018, 57% du marché mondial des semences.

En France, ces grandes entreprises bénéficient largement d'un soutien public : selon les données de la mission Potier5 Dominique Potier, Rapport sur les causes de l’incapacité de la France à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l’exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire, décembre 2023. , elles ont reçu en 2021 56,1 M d’euros de crédit d’impôt recherche, soit plus de 50% du total d’impôt sur les sociétés qu’elles ont acquitté en 2022.

Ces entreprises pèsent fortement sur les revenus des agriculteurs. Les pesticides représentent en moyenne près de 5% du total des charges et 13% des revenus dégagés par l’exploitation, l’excédent brut d’exploitation (EBE), en 20206 Résultats économiques des exploitations agricoles – France, chiffres clés 2020 – réseau d’information comptable agricole. . Pour les producteurs de céréales et d’oléoprotéagineux, les pesticides représentent près de 33% des revenus d’exploitation et plus de 10% du total des charges d’exploitation, soit plus de 15 000 euros par an par exploitation.

Les agriculteurs français sont exposés à la concurrence déloyale de produits ne respectant pas les normes phytosanitaires européennes

En principe, lorsqu’un pesticide n’est pas autorisé en Europe, aucun résidu de cette substance ne doit pouvoir être détectée dans les produits importés. L’Union européenne utilise un mécanisme de contrôle des limites maximales de résidus (LMR) qui s’applique indifféremment aux denrées produites dans l’UE ou dans des pays tiers. Mais la Commission européenne peut accorder une tolérance à l’importation afin « de répondre aux besoins du commerce international »7 Règlement (CE) n°396/2005, si l’interdiction de ce produit n’a pas été décidée pour des raisons sanitaires. En pratique, un pesticide interdit en Europe qui porterait une atteinte très forte à la biodiversité pourrait être autorisée par la Commission européenne.

Le contrôle du respect de ces interdictions apparaît particulièrement fragile : sur 907 substances interdites dans l’Union européenne, le plan de surveillance n’impose d’en tester que 176, soit moins de 20%. Même sur cet échantillon limité, plus de 10% des lots contrôlés physiquement par les douanes françaises relèvent un non-respect des règles européennes8 Source : Dominique Potier, Rapport sur les causes de l’incapacité de la France à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l’exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire, décembre 2023. . Enfin, les importateurs peuvent avoir recours à des produits masquant pour éviter de traces des pesticides, c’est notamment le cas avec les néonicotinoïdes utilisés pour la culture de betterave.

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