Chômage : remettre les seniors au travail ?

Peu avant les fêtes, Bruno Le Maire a proposé de réduire la durée d’indemnisation du chômage des seniors pour les inciter à reprendre un emploi. Cette approche repose sur l’idée que le faible taux d’emploi des seniors1 « Les seniors sur le marché du travail en 2022 », septembre 2023, Dares Résultats N°47. Le taux d’emploi rapporte le nombre de personnes en emploi à la population totale. en France (56,9% des personnes de 55 à 64 ans sont en emploi en 2022 contre 62,4% en moyenne dans l’Union européenne) serait dû à une protection sociale excessivement généreuse : départ à la retraite trop tôt, durée trop longue d’indemnisation du chômage, etc.

Alors que la durée d’indemnisation du chômage a déjà été réduite de 25% en 2023 pour l’ensemble des demandeurs d’emploi2 Le décret du 26 janvier 2023 relatif au régime d’assurance chômage a mis en place une modulation de la durée d’indemnisation en fonction de la conjoncture. Concrètement, depuis le 1er février, la durée d’indemnisation des demandeurs d’emploi est réduite de 25 % car la conjoncture est jugée favorable. , une réduction supplémentaire est donc à nouveau envisagée, sans attendre l’évaluation de la précédente réforme, en alignant les salariés de 53 ans et plus sur la durée d’indemnisation de droit commun. Actuellement, les demandeurs d’emploi de moins de 53 ans ont droit à une allocation pendant 18 mois au maximum contre 22,5 mois pour ceux ayant de 53 à 55 ans et 27 mois pour les plus de 55 ans.

En réalité, le chômage des seniors est d’abord un chômage involontaire : leur plus faible niveau d’emploi s’explique par un état de santé dégradé ainsi que par la faible appétence des entreprises à recruter des seniors. La réduction de la durée d’indemnisation du chômage des travailleurs les plus âgées renforcera la précarité et les obligera à accepter des emplois dangereux dans un contexte où la réforme des retraites va augmenter le niveau et la durée du chômage des seniors.

Le chômage des seniors est subi et ne correspond pas à un détournement des droits à l’assurance chômage pour bénéficier d’une pré-retraite

L’argument avancé pour justifier une réduction de la période d’indemnisation des seniors repose sur les « abus » qu’ils feraient de l’assurance chômage : ils l’utiliseraient comme un mécanisme de pré-retraite au lieu de rechercher un emploi. Avant la réforme des retraites et de l’assurance chômage, un « pic » d’ouverture des droits à chômage vers 59 ans tendrait à manifester l’existence d’un tel phénomène. La durée maximale d’indemnisation à l’assurance chômage de trois permettait, à cet âge, d’atteindre l’âge légal de départ à la retraite d’alors sans avoir à reprendre un emploi. Or, ce « pic » d’ouverture des droits est en réalité très limité : selon les données de l’Unédic3 « Articulation entre assurance chômage et retraites », mars 2023, Unédic. , en 2021, le nombre de ruptures conventionnelles entre 58 et 59 ans permettant l’accès au chômage augmente seulement de 1 5004 « Articulation entre assurance chômage et retraites », mars 2023, Unédic. sur plus de 30 900 ouvertures de droits. La part des ruptures conventionnelles dans l’accès à l’assurance chômage atteint un niveau similaire à celle des 35-44 (27% en 2021 contre 25% pour les personnes âgées de 59 ans).

Les principales causes d’ouverture des droits à l’assurance chômage des seniors restent involontaires : à 59 ans un sénior se retrouve indemnisé par l’assurance chômage en raison d’un licenciement dans 40% des cas ou d’une fin de CDD dans 34% des cas. A cet âge, plus d’un licenciement sur 4 l’est pour une inaptitude.

Les seniors sont surreprésentés parmi les chômeurs en fin de droit. En 2021, plus d’une sortie sur trois du chômage pour les demandeurs d’emploi âgés entre 55 et 61 ans correspond à une fin de droits5 « Articulation entre assurance chômage et retraites », mars 2023, Unédic. . Plus d’un allocataire sur deux de l’allocation de solidarité spécifique (ASS), minima social destiné aux chômeurs en fin de droits, est âgé de 50 ans ou plus6 Minima sociaux et prestations sociales, édition 2023, DREES. L’ASS garantit un revenu minimal d’environ 550 euros en 2021 pour une personne seule. .

Le moindre taux d’emploi des seniors s’explique d’abord par la dégradation de leur état de santé et par la réticence des entreprises à les recruter

Si le niveau d’emploi des seniors est plus faible c’est d’abord en raison de la détérioration de l’état de santé des travailleurs âgés qui ne leur permet plus de reprendre un emploi. Environ un tiers des seniors inactifs de moins de 62 ans le sont en raison de problèmes de santé, soit 50% de plus que pour l’ensemble des inactifs de 25-54 ans7 « L’emploi des seniors en France », Simon Akriche, Anna Bornstein, Clément Bourdier, DG-Trésor, 2022. . En 2015, 29% des personnes âgées de 52 à 69 ans qui ne sont ni en emploi ni à la retraite se déclarent en mauvaise santé (contre 7% de ceux en emploi) et 50% souffrent d’un handicap ou d’une gêne chronique (contre 18% des seniors en emploi) 8 D'Isanto A., Hananel J. et Y. Musiedlak (2018), « Un tiers des seniors sans emploi ni retraite vivent en dessous du seuil de pauvreté », Études & Résultats, n° 1079. Cette étude porte sur les seniors ne percevant ni revenu d'activité ni pension de retraite en 2015. . À 61 ans, en 2021, 9% d’une classe d’âge est invalide9 DREES, panorama retraite Les retraités et les retraites, édition 2023. .

Même lorsqu’ils cherchent un emploi, les seniors sont particulièrement discriminés sur le marché du travail et font face à une moindre appétence des entreprises pour les recruter. L’Eurobaromètre montrait en 2015 que 75% des managers français estimaient qu’être âgé de plus de 55 ans est un désavantage pour un candidat contre 60% en moyenne pour managers de l’Union européenne10 « Discrimination in the EU in 2015 », Eurobaromètre, 2015. . Un testing réalisé en 201511 « Accès à l'emploi selon l'âge et le genre : les résultats d'une expérience contrôlée », Challe et al., 2016, Théorie et Evaluation des Politiques Publiques, Rapport de recherche. montrait qu’à profil comparable un candidat de 56 ans a plus de trois fois moins de chance d’obtenir une réponse positive pour une offre d’emploi de vendeur qu’un candidat de 29 ans12 Le candidat de 56 ans obtenait un taux de réponse positive de 4 à 3% tandis que le candidat âgé de 29 ans obtenait un taux de réponse positive de 13%. Outre un effet de discrimination, les auteurs expliquent ces résultats par une perte de compétence des séniors. .

Pour certains, ce comportement des entreprises serait « justifié » par une perte de compétence des travailleurs plus âgés qui deviendraient relativement trop chers pour les recruteurs. Pourtant, les employeurs font le choix de limiter l’accès à la formation des seniors alors même qu’elle permettrait de maintenir leur niveau de compétence : en 2012, 37 % des ouvriers et employés de plus de 50 ans mentionnent l'absence d'aide ou le refus de l'employeur comme le principal obstacle au suivi d’une formation, soit près de 10 points de plus que pour les ouvriers et employés de 30 à 44 ans13 « Formation professionnelle : quels facteurs limitent l’accès des salariés seniors ? », juin 2016, Dares analyses, Dominique Demailly. .

La réduction de la durée d’indemnisation du chômage des seniors devrait accroître la précarité et accentuer les effets négatifs de la réforme des retraites

Cette réforme conduirait à augmenter le nombre de chômeurs en fin de droit, la pauvreté et la précarité. Les effets d’une telle réforme toucheraient plus durement les classes populaires : en 2022, Respectivement 5,3% des employés âgés de 55 à 59 ans et 6,5% des ouvriers de la même tranche d’âge sont au chômage contre 2,9% des cadres et des professions intellectuelles supérieures.

La réduction des droits contraindra les seniors d’accepter des emplois plus dangereux ou pénibles accroissant les risques d’accidents, de décès ou d’invalidité. Les seniors sont déjà surreprésentés dans les décès au travail. En 2021, 55% des décès au travail14 Caisse nationale de l’assurance maladie, statistique de la sinistralité. Sur un total de 645 décès en 2021 recensés par l’assurance maladie, 356 décès concernaient des salariés de 50 ans et plus. concernaient des salariés de 50 ans et plus alors qu’ils ne représentent que 30% des personnes en emploi15 Insee, enquête Emploi. .

Cet affaiblissement de la protection sociale interviendrait dans un contexte où la réforme des retraites va augmenter le niveau et la durée du chômage des seniors. La réforme Fillon de 2010 a entraîné une hausse des chômeurs et des inactifs : une étude16 « Employment and substitution effects of raising the statutory retirement age in France. » Rabaté S. et J. Rochut (2020) Journal of Pension Economics and Finance. de 2020 sur la cohorte concernée par le relèvement de l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 61 ans montre que parmi ceux qui n’ont pas pu partir à la retraite 40% se trouvaient en emploi mais 60% étaient en situation de chômage, de maladie ou d’invalidité. Selon la DREES17 Évaluation de l’augmentation des dépenses de certaines prestations sociales induite par un relèvement de l’âge légal d’ouverture des droits à la retraite, DREES, 2022. , l’effet du relèvement de l’âge légal de 62 à 64 ans devrait se traduire par un surcoût de près d’1,9 Md d’euros par an sous l’effet des minima sociaux (+ 100 000 bénéficiaires) et des arrêts maladies supplémentaires (+ 400 000 bénéficiaires d’arrêt de travail par an).

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